Twin Peaks : Le Retour de la sidération

Posté le 4 juillet 2017 par

Sidération. C’est bien le mot qui définit l’épisode 08 de la saison 3 de Twin Peaks.

Ce début de saison nous avait habitué à flirter avec l’altérité et le cosmos lynchien par petite touche, cet épisode 08 nous propulse de l’autre côté du miroir. Il est marqué par un mystère insondable qui est celui sous-jacent à l’œuvre de Lynch depuis ses débuts. Ce monde entre l’aliénation des désirs et un univers cosmogonique mentale a toujours su nous plonger dans les méandres de l’âme humaine par les moyens du cinéma, et de la télévision. Lynch va encore une fois, peut-être la dernière de sa carrière, invoquer l’ensemble des pouvoirs mystiques de l’image pour nous plonger dans un trip qui nous donnerait à vivre l’expérience de la peur primale, de l’effroi totale, celle de la disparition, de l’évanouissement, de la mort.

La maestria de l’épisode repose autant sur le montage que sur son audace plastique. Il y a d’abord cet enchainement d’évènements qui ne sont liés que par un fil sensible morbide, la « mort » du double de Cooper, le concert de Nine Inch Nails et la bombe. Ces évènements s’enchainent comme dans une sorte de cérémonie dont le final serait l’explosion ultime, celle qui a plongé le monde dans la vision de sa fin. Lynch devient une sorte de chamane qui agence les sons et les images pour nous permettre d’accéder à cette vision qui résonne encore aujourd’hui à l’aune de nos sociétés délétères et des récents évènements sociaux-politiques.

Puis il nous laisse accéder à un autre monde, une sorte de monde théâtrale, virtuel, onirique. C’est comme si cette saison de Twin Peaks qui était parasité par l’ensemble de l’œuvre de Lynch tentait d’y exprimer toute sa puissance en un seul épisode, en une suite d’évènements cohérents qui dresseraient autant un état mental du monde qu’une vision finale de l’œuvre du cinéaste, et plasticien. La folie formelle vient exploser les carcans de la télévision. On pense à Malick, à Kubrick, à Stan Brakhage, à Takashi Ito , Ken Jacobs voire à Maya Deren ou Kenneth Anger. L’image redevient sacrée ou du moins se charge d’une puissance occulte qu’elle avait perdu en devenant omniprésente dans notre quotidien. Elle devient la matière de l’esprit de son créateur qui rejoue l’Amérique intime et fantasmée qui a marqué son enfance, voire les images télévisuelles à l’origine de ses propres visions.

On peut désormais voir les morts, et l’au-delà. Lynch fait une série spirite comme on ferait de la photographie spirite, il montre les fantômes qui hantent son œuvre. La picturalité et la démarche de l’épisode évoquent presque une volonté pictorialiste ,peut-être même théosophique. On rentre dans l’image comme un univers spirituel qui nous parlerait au-delà des sens et des représentations, nous sommes pris dans une projection astrale. On voyage à travers les dimensions, l’espace et le temps, pour redonner à voir les origines de cet univers. La dernière partie nous offre cette Amérique télévisuelle alternative, matrice de l’univers de Lynch entre un tableau de Hopper et un épisode de The Twilight Zone, on revient à ce malaise originel qui nourrit l’œuvre de David Lynch depuis plus de 30 ans maintenant. On ne peut pas agencer les images comme une suite narrative, on est forcé de se laisser porter par la démence plastique et le montage sensoriel, l’univers de Twin Peaks est explosé pour mieux revenir, pour continuer de se construire. C’est le retour de l’homme derrière Eraserhead, c’est le retour du vertige derrière le vernis des images américaines, c’est le retour de David Lynch au sommet. Et pour ceux qui en doutaient, c’est bien le retour de Twin Peaks. C’est la sidération.

Kephren Montoute.

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