Netflix dégaine sa première série Marvel, avec Daredevil, le héros aveugle. On se rend compte qu’elle ne boxe pas dans la même catégorie que les films sortis au cinéma.
Matt Murdock (Charlie Cox), qui a perdu la vue à l’âge de neuf ans lors d’un accident de la circulation a une particularité : ses autres sens sont ultra développés, lui donnant des capacités que même des personnes voyantes n’ont pas. Il débute sa carrière d’avocat en compagnie de son meilleur ami Foggy Nelson (Elden Henson) dans un petit cabinet, sans moyen, sans client. L’arrivé de Karen Page (Deborah Ann Woll) va bouleverser leur existence et les plonger dans une affaire de grande envergure.
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Le pitch est simple comme un film Marvel, le héros a son origin story comme les autres, de ce côté là, il n’y a aucune surprise dans la série de Netflix. Pourtant les différences sont frappantes. Drew Goddard, Steven S. DeKnight et Netflix ont décidé de garder toute la noirceur et la violence de l’univers du Comic Book. Les personnages évoluent dans une ville de New-York rongée par la corruption, la violence et la peur. La photographie est sombre et stylisée, la mise en scène audacieuse, la différence avec le traitement des héros Marvel au cinéma est d’emblée très voyante. Netflix veut frapper fort, surprendre le fan de Marvel autant que le sériephile. Les influences de Daredevil, au-delà des comics de Frank Miller sont à chercher du côté de la série politique et du film d’investigation. Au delà du récit super-héroïque, il y a une réflexion sur la ville et ses changements, sur une bataille d’idéaux surprenante de profondeur.
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Durant les treize épisodes de cette première saison, on se surprend à penser à The Wire, toute proportion gardée. Daredevil explore les deux côtés de la balance. On apprend à connaître Murdock, ses motivations, son passé douloureux, ses états d’âme, sa volonté de débarrasser « sa » ville du crime. Mais on se focalise également sur le grand méchant, Wilson Fisk (Vincent D’Onofrio), grande baraque qui cache sous son calme apparent un caractère de sociopathe. Le parallèle dressé se révèle brillant et passionnant. Les deux personnages partagent la même douleur, la même volonté, mais n’utilisent pas les mêmes moyens. Quand l’un est dans un premier temps idéaliste, l’autre est plus pragmatique. Au milieu, il y a la ville. Troisième pièce toute aussi importante que les deux autres. La ville doit être sauvée, mais elle est aussi celle qui enlève les illusions, celle qui fait mal. New York change ces hommes, pour le meilleur et pour le pire. Daredevil s’intéresse donc à ces deux personnages, met en exergue leur ressemblance malgré leur volonté très forte de ne pas suivre la même trajectoire. Leurs ambitions, mais aussi leurs principes, vont être ébranlés, surtout pour Murdock qui se rend compte que faire le bien est beaucoup plus difficile qu’il ne le pensait. On finit donc par s’intéresser au Bad guy, terrifiant d’humanité, émouvant et dont les motivations sont parfaitement compréhensibles. L’influence de The Wire est toujours là, on s’attache, on comprend, quelles que soient les motivations.
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D’un côté, Murdock doit vivre dans l’ombre pour pouvoir faire le bien, petit à petit, il renonce à une vie normale, doit mentir à ses amis. De l’autre Fisk, suit le chemin inverse, pour réussir son pari, il doit quitter cette vie d’ombre, on doit le voir, l’entendre, partout. La naissance de l’homme politique est brillante. Du démon dont on ne doit pas prononcer le nom, du gangster craint par tous, il devient le doux politicien, le philanthrope qui vient à la rescousse. Murdock qui agit dans l’ombre, se sacrifie vraiment, il est l’idéaliste tandis que le politicien dans la lumière, est le cynique, celui qui tire les ficelles, la véritable menace. Wilson Fisk, finalement, passe du mafieux au politicien, mais reste le même. Il se transforme juste en une sorte de Frank Underwood sous hormones. Le constat est d’une noirceur implacable, l’idéalisme ne se situe plus dans les sphères politiques, la corruption règne, les médias sont tenus par la pègre, la police ne protège plus rien. Cette facette de la série surprend, on ne s’attendait pas à ce degré de profondeur.
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Autour de ce face à face, la série brode un canevas qui s’insère parfaitement dans l’intrigue, prend le temps de développer des personnages qui apparaissent de prime abord assez fades, comme Karen ou Foggy. Celui qui marque le plus durablement reste Ben Urich (Vondie Curtis-Hall), journaliste d’investigation rôdé, vieux briscard auquel on ne la fait pas. il s’inscrit dans la grande tradition des personnages de journalistes chevronnés, qui mettent leur vie en danger pour prouver, pour montrer. Là encore, on pense à The Wire, précisément la saison 5, qui traite des médias et de leur mutation. Urich est coincé, déchu, le seul qui semble encore vouloir parler des choses importantes. Il trouve dans l’affaire Fisk un moyen de regagner son intégrité, de continuer d’être. C’est un personnage magnifique, parce qu’il représente la lumière, il a ses démons, son passé, mais il reste un des seuls sur lequel on peut compter, incorruptible et volontaire. Et on aime ce genre de protagoniste, toujours le nez dans les affaires louches, magnifiquement dessiné, imperméable et grosses lunettes, d’une sagesse incommensurable. En somme, il représente l’homme politique qu’on aurait envie de suivre.
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Le traitement de Karen et surtout celui de Foggy apparaissent quelque peu maladroits dans un premier temps, Karen sert de point d’entrée, Foggy de caution comique. Puis le développement leur rend un peu plus justice. Daredevil n’arrive pas à gérer ses seconds rôles « gentils ». Le personnage de Rosario Dawson n’est peu ou pas développé, disparaît puis réapparaît, elle est un accessoire pour débloquer une situation. Stick lance une intrigue et repart. En ce qui concerne l’autre camp, c’est beaucoup plus réussi, on n’a pas besoin d’en savoir beaucoup sur eux pour apprécier l’humour noir de Owsley (Bob Gunton) ou l’impassibilité inquiétante de Wesley (Toby Leonard Moore). Mais le reste est si bien traité qu’on pardonne ces errances.
La saison est remplie de morceaux de bravoure, de plans séquences impressionnants, notamment celui de l’épisode 2, qui rappelle beaucoup celui d’Old Boy de Park Chan-Wook. On retrouve une certaine influence Nolanienne dans le traitement assez dark de la ville, notamment dans Batman Begins, mais cela n’enlève rien au fait que l’on n’a jamais vu une telle série de super-héros sur nos écrans. Il devient difficile de stopper la vision, on enchaîne, on finit, et on a follement envie de voir la suite. Daredevil est une surprenante réussite, montrant encore une fois que Netflix à les moyens, mais aussi le nez. Les autres séries Marvel/Netflix sont attendues de pied ferme.
Jérémy Coifman.