Better Call Saul : Dans l’ombre de Walter White

Posté le 25 février 2015 par

Après quatre épisodes, il est temps de se pencher sur Better Call Saul, diffusée en France sur Netflix, et spin off de la grande Breaking Bad.

Depuis la fin de Breaking Bad, le monde fantasmait sur une expansion de l’univers de la série, ou pourquoi pas sur une suite de la série. Dans la tête de Vince Gilligan et Peter Gould, l’idée d’un show centré sur Saul Goodman, l’avocat véreux de Walt et Jesse, a germé. C’est avec un certain scepticisme que l’on a accueilli la nouvelle, connaissant la propension des dérivés à faire moins bien que leur modèle.

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Nos craintes sont en partie rassurées dans la volonté des créateurs de faire original, avec une série qui explore, comme son ainé, le passé, le présent et le futur du personnage central. Nous allons faire connaissance avec Jimmy McGill, avocat loser, qui a du mal à joindre les deux bouts, entre un frère visiblement malade et des clients commis d’office qui ne sont évidemment pas grosses sources de revenus. Le génial Bob Odenkirk reprend son rôle. McGill n’est pas encore Saul Goodman, mais il a déjà son bagout et sa faculté à se sortir de n’importe quelle situation. Dans les deux premiers épisodes, McGill est montré comme un comédien. Avant ses procès, il répète devant le miroir des toilettes du palais de justice, on l’observe avoir le trac. McGill n’est jamais lui-même, ou plus précisément, nous ne savons pas qui il est vraiment. Il se met en scène en permanence. Jouant tour à tour l’homme plein de détermination ou le couard effrayé, on ne sait vraiment pas quand il joue. Cette facette de McGill/Goodman se révèle d’emblée passionnante. Il incarne parfaitement le personnage de série moderne, multi facette et complexe. Better Call Saul, une série sur le métier d’acteur ? Pas vraiment, mais peut-être y a-t-il un peu de ça. Elle relate l’histoire d’un homme qui pour exister va changer d’identité, va se fabriquer un personnage. Comme Breaking Bad en somme.

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Il y a plusieurs niveaux de lecture dans Better Call Saul. On peut y voir une mise en abyme du métier d’acteur, ou un polar noir corrosif. Mais on y décerne aussi autre chose, une sorte d’angoisse permanente de bien faire, de réussir. Partant surtout des craintes initiales des créateurs, elle rejaillit sur le personnage principal, dont la trajectoire durant ces quatre épisodes peut très bien être interprétée comme une représentation de la profonde inquiétude des scénaristes. Jimmy McGill n’a qu’un seul but, vraiment, c’est de réussir. Son idée du succès, c’est l’argent, la célébrité. Mais plus que tout, on le voit pendant ces quatre épisodes essayer de prouver qu’il est compétent, qu’il a une utilité. On le voit discuter avec de potentiels clients, son ancienne firme, son ancienne conquête, des trafiquants de drogues. Toujours dans cette dynamique de justification, il n’aura de cesse de vouloir prouver qu’il peut servir. Cette lecture de la série devient vite passionnante, et encore plus quand la série introduit le personnage de Chuck McGill, le frère du futur Saul Goodman. Il est grand, a connu le succès, est toujours ultra respecté, mais décline physiquement et mentalement. Il représente en somme tout ce que Jimmy n’est pas. Maintenant, Chuck  vit seul, reclus dans sa maison, pendant que Jimmy tente de le protéger, de le faire revenir au top. Cette relation symbolise à merveille la relation qu’entretient Better Call Saul avec son ainé Breaking Bad. Jimmy cherche l’approbation de son frère, mais aussi à préserver son aura, relancer sa carrière, même s’il sait qu’il est perdu. Il veut marcher sur ses traces, devenir un grand avocat, avoir son grand cabinet. Better Call Saul veut être Breaking Bad, et tente de trouver sa voie malgré tout pour y arriver.

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Les différences sont minimes entre les deux séries, que ce soit visuellement ou dans le scénario. On évolue dans un climat familier, un rythme  et un univers dans lequel on est heureux de pouvoir replonger. Cela marque pour l’instant à la fois la grande qualité de Better Call Saul et sa limite. Sa plus grande qualité parce qu’elle est au niveau. On ne peut pas lui reprocher grand-chose. Il n’y a pas beaucoup de séries qui ont fait mieux cette saison. Visuellement la série reste à tomber, comme Breaking Bad, et elle garde aussi cette faculté à suspendre le temps, jouer de l’absurde des situations. En résumé, Better Call Saul à l’aspect visuel des dernières saisons de Breaking Bad, mais évolue dans le ton de la première saison : une sorte de polar absurde « Coennien ». Si on veut lui trouver un équivalent sériel actuel, ce serait évidemment Fargo, diffusé sur FX. Mais seulement voilà, la série ne s’éloigne pas d’un iota de la série originale. Elle reprend tous les aspects qui ont fait le succès et le transpose ici. Même la trajectoire de McGill est calquée sur celle de Walter White : un homme qui pour un but précis bascule peu à peu dans l’illégalité. Malgré l’abattage d’Odenkirk/McGill, Better Call Saul n’arrive pas à s’éloigner de Walter White/Breaking Bad.

La série se sert de la mythologie existante comme base, et multiplie les clins d’oeil, mais, chose importante, développe en quatre épisodes la sienne. Il y a énormément de personnages introduits, de lieux, d’objets. On retrouve le talent des scénaristes et réalisateurs pour  insuffler une personnalité et une base. Le salut de la série passe par là, et ce serait peut-être le but des créateurs avec Better Call Saul : parvenir à créer un autre monde, tout en gardant la forte personnalité de la série mère. Peut-être qu’ils n’ont pas du tout envie de faire autre chose que du Breaking Bad, peut-être également que nous spectateurs, n’avons pas envie de voir autre chose. On a envie que la flamme Breaking Bad brûle encore, que l’univers s’étende toujours plus. Même si le fantôme de Walter White semble rôder dans chaque recoin de l’image, on a encore envie d’en voir plus. Jimmy McGill peut arrêter la comédie, on sait qu’au fond, il sera toujours Saul Goodman.

Jérémy Coifman.

 

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3 commentaires pour “Better Call Saul : Dans l’ombre de Walter White”

  1. Perso…j’adore.

    Est pourtant dieu sait que je suis un GRAND fan du show(number one for me), mais ouep en 4 épisodes…c’est brillant.

    Ensuite je pense que beaucoup sont déçu, car comme tu dit, frustré de ne pas voir ca…ou sa!!!

    Bref les gens veulent déjà qu’on leur donner la qualité des dernière saisons de BrBa…or elle n’a que 4 épisodes…et elle arrive(selon moi), déjà a sortir de l’ombre…tout en respectant l’aisance de sa grande sœur.

    Bref je suis persuader qu’avec le temps…la série marquera elle aussi les esprit(et ca pour un spin off….ca serait miraculeux…ou pas tant que ca vu les gars derrière).

  2. Bel article ! Tu as vu l’intégralité de la saison depuis ?

    C’est vrai qu’il y a des similitudes dans les parcours de Walter White et Saul Goodman. Mais Saul est un extraverti qui cache sa sensibilité alors que Walter est l’inverse. Saul a démarré en rebelle, contrairement à la petite vie tranquille dont s’est extirpé Walter. Et il y a plein d’autres différences qui font que, selon moi, la série sort de l’ombre de sa grande soeur. Gilligan et Gould marque cette nouvelle série de leur empreinte tout en arrivant à se renouveler sur les marges. Ce qui est le propre de tout grand créateur, non ?

  3. Pour suivre les commentaires sur les réseaux sociaux, la plupart des déçus de BCS (ils sont en minorités, mais ils existent), trouvent que le rythme est trop lent, que ça manque d’action.
    Ils se revendiquent ultra fans de BrBa, mais ont probablement oublié l’extrême lenteur des premières saisons.
    Les producteurs ont raison de prendre leur temps. Maintenant que la première saison est achevée, on a eu le temps de découvrir à la fois l’environnement de Jimmy, mais aussi son passé. Comment il est resté longtemps un avocat un peu looser et qu’est-ce qui a marqué son changement. La dernière scène montre bien que dans la saison 2, il sera un autre homme, décidé à changer son fusil d’épaule.
    Toute cette saison était indispensable pour la suite, et même si elle pouvait être lente, elle n’en était pas déplaisante pour autant.

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