Rectify Saison 2 : Une prison a ciel ouvert

Posté le 2 septembre 2014 par

La deuxième saison de Rectify confirme avec brio la réussite de la première. Avec quatre épisodes de plus, Ray McKinnon nous happe encore, nous laissant souvent au bord des larmes.

Difficile après une première saison si forte de revenir l’année suivante. Parce que les attentes du public sont presque déraisonnables et surtout parce que la deuxième saison est toujours difficile à aborder pour un showrunner. Sundance Channel a donné à Ray McKinnon dix épisodes pour développer son univers si atypique.

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Daniel Holden ( Aden Young)

Nous ne sommes aucunement dépaysés. La photographie baignée de la lumière de Georgie, le destin contrarié de Daniel Holden, sorti du couloir de la mort après dix-neuf ans, et sa grande tristesse, que l’espoir d’une nouvelle vie ne parvient pas à masquer. Cette deuxième saison reprend là où l’on s’était arrêté. Après avoir été passé à tabac, Daniel se retrouve dans le coma entre la vie et la mort. Rectify est à fleur de peau, toujours suspendu à un fil.

Cette introduction permet finalement de s’intéresser à ceux qui restent, le clan Holden dans sa totalité, qui gravite toujours autour de Daniel, sans pouvoir s’en détacher. Le tragique de ces personnages atteint un degré supérieur dans cette deuxième saison. Ils ont encore plus le temps d’exister à l’écran et semble pourtant décrépir davantage. Chacun voulant reprendre là où la vie les a laissés il y a dix-neuf ans, mais voit leurs espoirs réduits à néant. L’impossibilité d’avancer se ressent dans le rythme toujours plus lent, le temps s’écoule comme il s’écoulait pour Daniel en prison, les petits riens durent une éternité, les mots et les regards portent le poids de décennies de souffrances.

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Amantha Holden ( Abigail Spencer)

Daniel, dans son coma, se raccroche à son seul ami, Kerwin, personnage magnifique, coupable, mais lucide, aimant et plein de regrets. Le procédé du coma n’a rien d’original, il peut paraître même assez balourd pour exprimer les craintes et doutes d’un personnage. Mais on se rapproche ici des Soprano, lorsque Tony, comateux, s’imaginait une nouvelle vie normale, loin du tumulte. Pour Daniel, tout espoir d’une nouvelle vie est impensable. La mort est une solution plus simple, la délivrance. C’est son amitié avec Kerwin qui le sauvera de ses démons. Les scènes avec son ami sont d’une puissance inouïe. N’importe quelle fiction pourrait tomber dans le ridicule avec un discours si simple sur la vie, l’amitié ou l’espoir, mais l’interprétation, la mise en scène, la musique donnent à ces instants un côté quasi mystique, dont il est impossible de ne pas ressortir ému.

McKinnon a l’intelligence de ne pas faire durer le coma, pour se concentrer sur l’éveil d’un homme qui n’a pas eu d’adolescence et veut enfin rattraper le temps perdu. Daniel veut s’émanciper, expérimenter, voir et faire des choses qu’il n’a pas eu l’occasion de faire. Le voilà à plus de trente ans, faire une crise d’adolescent, bravant l’interdit, tout en voulant s’affranchir de sa famille. Mais Daniel Holden n’est pas un homme comme les autres et se met dans des situations qu’il a du mal à contrôler. Surtout il veut trouver un sens à son existence, une utilité, tout en étant sans arrêt tiré vers le passé, par la seule présence de ses proches. Même quand il s’invente une vie de libraire, loin de  sa ville natale, il ne parvient pas à masquer sa souffrance. La prison de Daniel Holden, c’est ce corps, si imposant, dont il aimerait se défaire.

Ted Jr (Clayne Crawford)

Ted Jr (Clayne Crawford)

Dans cette saison, ce sont les autres personnages qui prennent une plus grande dimension. Surtout Ted Jr, interprété par un parfait Clayne Crawford, beau-frère plein de ressentiment et de colère. Il se révèle comme un personnage toujours plus complexe, dévoré par la jalousie et l’envie, tout aussi victime de son environnement qu’Holden. Il est l’autre versant de la personnalité de Daniel, un diable dans une enveloppe angélique. Il représente le mari aimant, le travailleur honnête. Mais dans cette saison 2, le vernis va continuer de se fissurer, transformant Ted Jr en véritable bombe à retardement, complètement incontrôlable. Il devient presque aussi passionnant que Daniel lui-même. Son évolution est effrayante. Les actes de Daniel touchent tout le monde, plus que l’on peut imaginer.

Daniel s’impose presque sa souffrance, comme pour racheter ses fautes passées. Dans cette saison 2, l’ombre de Fiodor Dostoievski plane plus encore que dans la première.  Holden est un personnage dostoïevskien par excellence, s’interrogeant sur sa foi, ses fautes tout en gardant un espoir et une bonté hors norme. Il est une sorte de croisement entre Raskolnikov de Crime et Chatiment et du prince Myshkine de L’Idiot. D’ailleurs Doistoievski est directement cité lorsque l’aumônier dans un flashback dit à Daniel que « la beauté allait sauver le monde », Daniel lui répondant qu’il est un « idiot ».

C’est donc une saison 2 marquée par la rédemption impossible et les doutes, qui se clôture de la plus belle des façons, nous laissant toujours plus dans le doute de la culpabilité de Daniel, sur ses capacités à survivre dans ce monde qu’il ne comprend pas. La série réussit sur tous les plans : on reste ébahi par tant de grâce, happé par une intrigue judiciaire passionnante et emporté par une mise en scène naturaliste toujours aussi magnifique. Rectify n’a pas fini de hanter des millions de téléspectateurs.

 Jérémy Coifman.

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