Togetherness a commencé lundi soir sur OCS City en j+1, et la série des frères Duplass réjouit.
Le cinéma des Duplass, figure emblématique du courant Mumblecore, a toujours alimenté cette idée de la perte des repères, de la fuite du temps et de la mélancolie qui s’immisce dans le quotidien. Togetherness, dont la première saison s’étendra sur huit épisodes de 30 minutes ne trahit pas la « méthode Duplass ». C’est toujours aussi minimaliste et on sent une part d’improvisation chez les acteurs. Beaucoup seront déçus, voire mécontents d’assister a une énième variation sur le thème de la famille, du mariage, des relations amicales d’une bande de quatre trentenaires vivant dans leur paisible banlieue, mais qui s’ennuie royalement. Le dispositif, classique du cinéma indépendant américain, ne laisse plus beaucoup de place pour les surprises. Mais dans le cinéma des Duplass, il y a une intelligence du propos, une sensibilité toute particulière, une réutilisation des thèmes et des acteurs (ici le formidable Steve Zissis ou Mark Duplass lui-même). L’oeuvre est cohérente et Togetherness apporte sa pierre au bel édifice.
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L’oeuvre de Mark et Jay Duplass parle avant tout de leur lien fraternel, de l’idée de couple, de la notion d’amitié et s’interroge sur l’évolution de la cellule familiale, tout en donnant une vision réaliste et drolatique de l’intimité.On touche en plein dans le mille avec Togetherness qui brasse tous ces sujets. Concédons que dans le fond il n’y a pas grand-chose d’inédit dans la dramédie HBO. Mais toute la réussite de ce pilot réside dans la vision des auteurs, qui n’a pas perdu de sa force et de sa sensibilité. La série suit donc quatre trentenaires à la croisée des chemins. Le couple Pierson, Brett et Michelle (Mark Duplass et Melanie Lynskey), l’ami d’enfance de Brett, Alex (Steve Zissis) et la soeur de Michelle, Tina (Amanda Peet). Le sort les réunira dans la maison des Pierson.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Duplass aiment malmener leurs personnages, les pousser dans leurs retranchements et les faire s’interroger sur ce qui les motive. Dans ce pilot, les quatre trentenaires sont chacun à leur manière complètement désorientés, en manque d’amour, sans perspective ou en dépression. Togetherness traite de sujets lourds, mais sans pathos, sans en rajouter, en pointant souvent du doigt le ridicule ou l’absurdité de la situation. On retrouve le gout des réalisateurs pour la montée en tension et l’explosion, mais aussi pour les inconfortables situations (la scène de la masturbation). L’oeuvre garde aussi cette faculté qu’ont les réalisateurs de filmer des personnages qui se mettent à nu émotionnellement, baissant sans crier gare leur défense, donnant à certaines scènes un caractère fortement émouvant.
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Les protagonistes sont typiquement « Duplassiens », loosers en quête d’identité, d’un moteur ou tout simplement de quelqu’un pour combler leur solitude. Mais ce qui touche le plus dans Togetherness, et dans l’oeuvre entière des auteurs, reste l’évocation du temps qui passe, ce qu’il produit dans la psyché des personnages. Le passé, le présent, le futur, la série brasse les trois périodes, pas dans le déroulement, mais en l’insinuant dans les personnages. On sent le temps qui passe dans leurs yeux, leur coeur, et leur apparence. La nostalgie, la mélancolie du présent et l’angoisse du futur se ressentent dans la moindre fibre de Brett, Michelle, Tina et Alex. Ils vivent dans le souvenir de quelque chose, semblant même parfois réinventer leur passé, lui donnant des allures d’âge d’or. Ils transpirent tous l’inconfort, pas à l’aise dans leur corps, dans leur vie, dans leur vêtement. Pire, ils ne savent pas du tout vers quelle direction se diriger, tâtonnant en permanence.
Cette fuite du temps, cette recherche permanente de « l’avant » élève Togetherness, lui confère une aura toute particulière et pour ne rien gâcher s’avère totalement cohérent dans la programmation d’HBO qui diffuse la série le même soir que Girls et Looking, qui ne parle que de cette peur de l’avenir et de la difficulté d’évoluer au quotidien. Après les filles de New York et les homosexuels de San Francisco vient la « famille recomposée » de banlieue. Togetherness, finalement, c’est un peu Modern Family sous prozac : Moins de burlesque, plus de réalisme, et un quotidien qui semble a mille lieux de celui de la famille Dunphy.
C’est simple, drôle et touchant, et donne envie de se refaire la filmographie des frères Duplass.
Jérémy Coifman.