Maniac : There is a light that never goes out

Posté le 16 décembre 2018 par

Il y a quelques années, True Detective, une série phare des années 2010 naissait de la symbiose entre un jeune scénariste et un jeune cinéaste. Ce dernier après des projets avortés et un film revient à cette trouble alchimie de la forme sérielle avec Maniac. Nic Pizzolatto est remplacé par Patrick Sommerville, et la pesanteur des troubles métaphysiques laisse place à la confusion d’un futur perdu dans les fantasmes du passé. Néanmoins, pour Cary Fukunaga, il est toujours question de mettre en l’image des paysages mentaux et d’y en explorer les failles.

Nothing Burns Like The Cold

 

Maniac n’est pas une œuvre aussi grandiloquente que True Detective a priori mais dévoile doucement sa structure qui semble similaire. Les deux séries se questionnent sur la vie après un traumatisme, sur la prison des souvenirs, sur l’échec de la communication donc sur l’amour, le temps et la mort. La singularité de la série se joue dans le glissement qu’elle opère à travers la mise en image de ses sujets. Alors que True Detective jouait sur l’échec de la communication entre les individus au sein des différents niveaux de l’existence sociale, Maniac choisit une autre échelle, et nous montre l’échec de la communication au sein même des individus, entre leur conscience et leur psyché refoulé, dans leur intimité. Ainsi les deux protagonistes Owen (Jonah Hill) et Annie (Emma Stone) sont prisonniers de leur esprit, et donc privés de communication avec des corps autre que le leur. L’un par sa maladie, l’autre par sa culpabilité. Il est donc intéressant de les voir évoluer dans un monde qui ne semble exister que par les connexions, le partage des informations, et l’échange, un monde virtuel. Et là, est la réussite de Fukunaga :  dans le choix de mettre en scène une technologie qui nous semble dépasser puisque l’esthétique de la série s’inspire de l’informatique des années 90. C’est pertinent car l’informatique de cette époque reste matérielle, du moins nécessite une présence physique (à travers les câbles, les boutons…) et rappelle celle du corps humain. Il faut bien une existence matérielle pour permettre un virtuel. Dès lors la communication humaine est-elle purement virtuelle ou nécessite-t-elle une existence physique ? Ou du moins, à quel niveau s’effectue le partage ? Fukunaga choisit de nous offrir une ode à la virtualité comme une clé d’accès à une meilleure existence matérielle, et c’est là que repose la discrète réussite de Maniac.

 

These broken limbs again into one body

 

La série se sert des archétypes et des images préexistantes dans l’esprit du spectateur pour nous faire voyager dans les esprits des personnages, mais également dans le nôtre. L’esthétique des années 90 est donc pertinente car c’est le moment définitif de basculement du cinéma, donc des images dans leur propre virtualité. C’est le moment du cinéma qui n’existe qu’à travers ses propres images, du « méta ». Et Fukunaga le souligne dès le troisième épisode qui s’inscrit dans ce cinéma référencé, avec une histoire qui évoque autant Tarantino qu’ Oliver Stone ou Tony Scott. La série joue avec les codes et les niveaux de représentation mais reste toujours dans l’intime, et la mélancolie. Il n’y a pas le recul froid et théorique d’un Nolan, ni le vertige formel d’un Satoshi Kon, alors que la série pourrait très bien s’y prêter par cette exploration du virtuel. On reste proche des corps incertains des deux protagonistes. Le caractère ludique de la mise en scène de Fukunaga ne fait que renforcer l’immersion dans ce monde virtuel. Et la forme sérielle nous permet de nous y plonger plus longuement jusqu’à s’y perdre. A l’aune des images de Maniac, on se retrouve à divaguer sur les échos que ces petits éléments qui rappellent des grands moments du cinéma ( Kubrick/Lynch ou Peter Jackson voire John Woo sont cités) font en nous sans pour autant se détourner de ce que veut nous montrer la série. Il faut voyager à travers les bribes d’images pour pouvoir les dépasser, ou du moins pour les accepter. C’est le passé que nous devons accepter et a fortiori le passage du temps, la disparition mais également le renouveau.

Basic Need

 

 

Ainsi la série s’inscrit dans une sorte de méta originel par ses références explicites à Don Quichotte. L’œuvre de Cervantès signe le glas d’une période de la littérature celle des chansons de gestes, de la fin’amor, des histoires de chevaliers mais donne également le point de départ au roman moderne, celui qui a conscience de sa place dans l’esprit du lecteur. L’esthétique des années 90 résonne donc comme les illusions chevaleresques de Don Quichotte pour le spectateur de Netflix. La production actuelle semble bloquer dans ses références des années 80/90, tel le personnage de Cervantès, et c’est d’autant plus intéressant que Netflix est l’un des acteurs de cette illusion par son catalogue, mais surtout la production d’une œuvre comme Stranger Things. Les esprits sont bloqués dans un temps à l’heure ou le virtuel domine. Nous sommes donc tous bloqués dans un temps. Ce temps peut être un traumatisme comme ceux que doivent affronter les personnages de Sommerville, il peut aussi être un objet bien plus vaste comme tout un pan de la culture. D’où l’importance du partage et de l’échange que prône la série. La communication nous permettrait de nous projeter au-delà de ce marasme. Alors que dans True Detective, c’est justement le partage de l’horreur, la tentative d’explication de l’indicible qui ramenait la folie d’une époque dans une autre. Maniac se veut être l’autre face de cette pièce, l’échange serait libérateur d’un mal profond alors que dans True Detective cela était une parole-virus. Fukunaga s’oppose donc à cette organicité malaisante par une sorte de communication transcendante. Cette communication transcende le corps, mais également la matière et le temps. L’un des personnages qui est justement le plus toucher par son traumatisme, est un ordinateur. Dès lors, nous ne pouvons plus définir comment se configure l’espace mental, tout comme Don Quichotte qui voit le monde à l’aune de ses lectures. Le spectateur épouse pleinement ce regarde trouble d’un monde malade qui ne peut se soigner que par un voyage dans son propre esprit en acceptant sa finitude.


C’est là ou Maniac semble toucher ce que Ready Player One parait avoir accompli pour certains. Mais l’intelligence de Sommerville et de Fukunaga est d’avoir montré le réel comme aussi trouble que le virtuel, de n’avoir pas fait d’oppositions entre les deux. La complémentarité des deux entités est nécessaire à la transcendance que nous offre la série. Si le monde n’est qu’un ensemble de représentation et d’informations, la recherche d’une réalité unilatérale est le mal qui ronge les corps de Maniac. Ce n’est pas l’unilatéralité ou l’objectivité qui sauve les protagonistes mais l’accord des subjectivités, la communion. A travers les rêves/films, ils se retrouvent à partager des univers communs dans lesquels un dialogue est possible. Certes, le dialogue n’est pas possible entre tous, Maniac n’est pas une série utopique. La série reste bercée par une douce mélancolie. Et même elle flirte avec une certaine naïveté, elle n’esquive pas la violence de ses sujets.

A la fin les deux couples de protagonistes vont dans des sens opposés. Pourtant ils ont quand même trouvé une place dans le réel suffisante pour pouvoir accepter de partager, de vivre. Et dans toutes les connexions possibles, dans tous les réseaux possibles, l’élément transcendant qui lierait nos rêves comme une intervention divine serait l’amour. Peut-être pas le grand sentiment romantique que semblerait porter la série selon ses influences. Mais une sorte de liberté que l’on partage à son niveau avec un mélange de confiance et de mystère, qui nous permet de tourner la tête du passé, vers le futur, même incertain. Maniac est donc une sorte d’hymne à la connexion, à une époque ou l’on croit être isolé, peut-être que nous ne le sommes pas tant que ça voire pas du tout. Et se sentir vraiment « connecté » peu importe le niveau, c’est probablement ça l’amour.

 

Kephren Montoute.

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