2 Broke Girls/Modern Family : Une histoire de mécaniques

Posté le 7 novembre 2014 par

Petit billet d’humeur sur l’évolution de deux sitcoms 2 Broke Girls et Modern Family.

Deux comédies, deux chaines différentes (CBS et ABC), et deux procédés opposés (le multi cam et le single camera) : 2 Broke Girls et Modern Family ne sont pas vraiment comparables si on y réfléchit bien. Elles n’ont en commun que le fait d’être une comédie. Elles n’ont pas les mêmes ressorts ou la même dynamique, ni le prestige. Mais dans ce petit billet, j’avais envie de les mettre en parallèle, car leur évolution m’intéresse grandement. Elles qui prennent deux directions radicalement différentes.

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2 Broke Girls de Michael Patrick King (Sex and the City) et Whitney Cummings (Whitney) raconte les déboires de deux jeunes adultes dans leurs galères pour fonder une entreprise de fabrication de cupcakes. La particularité du duo étant que l’une d’elles est une ancienne riche déchue tandis que sa partenaire en affaire a grandi dans les quartiers pauvres. La sitcom est classique dans sa forme : Multi cam, rires enregistrés, vannes à la minute. La particularité de la série reposait sur l’écriture très trash, ne reculant devant rien et évitant les censeurs avec dextérité. La première saison est étonnante de par sa capacité subversive et suggestive et pour l’introduction de personnages tous très bien campés. Il y a avait un sens de la vanne méchante assez drôle, une dynamique bien rôdée dont on apercevait déjà les mécanismes, mais plaisante et rafraichissante.

La série entame sa quatrième saison , et force est de constater que 2 Broke Girls s’est rapidement essoufflée, surtout parce qu’elle a été très rapidement au bout de son idée, ne sachant plus quoi faire par la suite. La subversion s’est transformée en vulgarité crasse tandis que les répliques cinglantes déclamées avec une précision d’horloger ne sont devenues qu’artifices. Tout sonne faux désormais dans 2 Broke Girls, qui en plus de n’avoir pas fait avancer son récit d’un iota, ne parvient pas à renouveler son écriture. Les interprètes et donc les personnages n’y sont plus (seul peut-être Oleg le cuistot Russe égal à lui-même), les gimmicks sont insupportables ( les entrances de Sophie voulant jouer dans la cour de Kramer de Seinfeld, le bashing de Han), et l’on est peiné de voir qu’au-delà du vernis provocateur, il n’y ait aucune substance, pas beaucoup de véritables tours de force comique. L’illusion n’aura duré qu’une saison et demie. On rit d’abord, puis on assiste juste aux énièmes blagues récitées sans la moindre conviction. Elle n’a jamais eu la prétention d’être une grande sitcom, mais 2 Broke Girls n’arrive pas au niveau des autres comédies de la chaine, même Mike and Molly qui pourtant n’est pas la meilleure, mais qui a des personnages forts (sans mauvais jeu de mots). On a la forte impression que désormais, les auteurs n’ont pour but que de choquer le bourgeois et de vanner 25 fois par saison les hipsters. Hélas, plus rien ne fonctionne vraiment. Bien sûr, quelques blagues passent au travers des mailles et continuent de me faire rire, statistiquement il est presque impossible de ne pas sourire au moins une fois devant 2 Broke Girls. En effet, avec autant de vannes à la seconde, il y en a au moins une de bonne par épisode. Je me rends compte à l’instant que j’écris comme Max et Caroline se comportent. Je venge le pauvre Han qui donne un boulot à ses deux pimbêches, leur fait des faveurs, mais s’en prend toujours plein la figure !

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Modern Family a dès sa première saison reçu les louanges des critiques et du public. C’est d’ailleurs ce qui l’a rendue finalement un peu antipathique avec le temps. La comédie est une bête de concours, le chouchou des Emmys ( cinq de suite!).  En fait, c’est un peu ce qui agace. Steve Levitan et Christopher Lloyd (non, pas doc de Back to the Future) ont écrit la comédie d’une vie, leur Seinfeld ou Friends, il va être difficile après coup de revenir d’un tel succès. Le concept est classique : on suit le quotidien d’une grande famille divisée en plusieurs foyers. Mais arrêtons nous au titre un instant, en quoi le Modern se justifie-t-il ? Attention, la subversion du concept est époustouflante : parmi les foyers présentés, il y a un couple homosexuel (première subversion), et un couple remarié (deuxième subversion…en 1992) qui présente la particularité d’avoir une grande différence d’âge (trop de subversion !). Soyons bien clairs, je cherche encore ce que ces familles ont de moderne, tant l’écriture ne s’éloigne jamais des valeurs morales et politiques du tout venant. Il a fallu attendre une saison et demie pour voir le couple homosexuel s’embrasser à l’écran par exemple. Surtout, elle reste vraiment ancrée dans une mécanique très vielle-école, avec le schéma introduction, problématique, résolution, morale finale. Oui, Notre Belle Famille se jouait sur le même mode il y a 20 ans.

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Mais au-delà de son titre et du fond, reconnaissons que l’écriture est plusieurs coudées au-dessus de celui de 2 Broke GirlsModern Family joue sur plusieurs niveaux de lecture, sait rire d’elle-même, fait évoluer des personnages archétypaux tous très forts et bien utilisés. Les deux premières saisons sont des délices d’écriture et de tendresse. Chaque personnage ou presque représente une forme d’humour, même si on reconnait un penchant des auteurs pour le comique de situation (sitcom, merci captain obvious) ou le slapstick. Même si on en voit les rouages, on ne peut qu’être admiratif de la capacité des scénaristes à jouer avec les mots, bien aidés par des acteurs fantastiques.

La série est ensuite entrée dans une routine un peu ennuyeuse, ne sortant de sa torpeur que par intermittence. Les acteurs continuaient de jouer leur partition avec talent, mais c’est dans l’écriture que les choses n’allaient pas. On ne retrouvait pas la même verve, le même soin ou cette malice si caractéristique. Il n’en ressortait qu’une impression de rance, un côté sitcom familiale ronflante, très 90’s. Puis vint un merveilleux épisode à Las Vegas en saison 5 qui invoquait le vaudeville et qui m’avait grandement impressionné. Cet épisode est  le moment où les scénaristes ont repris du poil de la bête. En ce début de saison 6, je retrouve le Modern Family que j’aimais : truculent, inventif et verbal. Je ne comprendrai jamais pourquoi elle a reçu autant d’honneur, mais elle mérite quand même d’être reconnue : Modern Family a su relever la tête, faire grandir ses personnages et instaurer des gimmicks très réussis.

Modern-Family

Les évolutions de 2 Broke Girls et Modern Family ne sont pas différentes des autres comédies, mais il est intéressant de voir que quand l’une plonge rapidement l’autre arrive à se relever. Le savoir-faire en la matière de Steve Levitan n’y est peut-être pas pour rien. Les mécaniques comiques sont bien voyantes de part et d’autre, à la différence qu’entre la vulgarité et les bons mots, je choisis toujours les bons mots.

Jérémy Coifman. 

 

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