Avez-vous déjà vu ? … Rubicon

Posté le 14 avril 2014 par

Première pour la rubrique avez-vous déjà vu ? Avec Rubicon, thriller d’espionnage diffusé sur la chaine AMC entre le 1er aout et le 17 octobre 2010. Elle a tout de la fiction un peu maudite, qui depuis le début sent le projet avorté ou mal exploité.

 

Il faut remonter à 1996, pour trouver trace d’une série télé originale sur AMC, elle qui se spécialise plutôt dans les classiques du cinéma et plus particulièrement du western. Remember Wenn, reste hélas pour elle, pratiquement rayée de la mémoire de tous. La véritable entrée dans la cour des grands se situe en 2007, avec Mad Men. Dans l’ombre, l’oeuvre de Matthew Weiner gagne un prestige monumental, propulsant la chaine sous le feu des projecteurs. Elle remporte quatre Emmys de suite. Pendant ce temps-là, Breaking Bad, diffusée pour la première fois en 2008 suit la même trajectoire. Les spécialistes se demandent où s’arrêtera l’impressionnante ascension d’AMC, qui sort deux chefs-d’œuvre coup sur coup, avec une réussite insolente. On l’érige bien vite en nouvel HBO, maison des rejetés de la chaine à péage, Matthew Weiner et Vince Gilligan ayant essuyé des refus pour leurs deux séries.

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Dans la foulée, en pleine euphorie, le network accorde une saison à Jason Horwitch qui scénarise le projet Rubicon,  prometteuse, sombre et tortueuse. Il donne le fol espoir d’un triplé historique d’une passation de pouvoir avec HBO. Horwitch n’a pas une grande carrière derrière lui. Il écrit plusieurs scripts de téléfilms pour par la suite créer sa seule fiction télé : NIH, procedural qui avait la particularité de suivre une équipe de médecins enquêtant sur des virus mortels. Dotée d’un casting solide, mais d’un scénario invraisemblable, la série fut annulée par NBC au bout d’une saison.  Lui aussi croit en Rubicon et à sa capacité à lui ouvrir des portes. Après le tournage du pilot, qui se passe comme prévu, Horwitch rentre en conflit avec AMC qui n’est pas très à l’aise avec la direction qu’il veut prendre pour la suite. Très vite, le créateur laisse sa place de showrunner à Henry Brommel (décédé en 2013), alors producteur exécutif. Rompu à l’exercice, puisqu’il travailla sur Homicide, Carnivale et plus tard sur Homeland, le nouvel homme fort de Rubicon donne entière satisfaction et emmène la série dans de hautes sphères qualitatives. AMC lance la machine en avant-première, au mois de juin 2010, après le finale de la saison 3 de Breaking Bad, pour lui donner la visibilité nécessaire à un succès. Avec un Lead-In pareil, cela fonctionne. Mais rien n’est gagné.

Rubicon narre le destin de Will Travers, analyste de génie à l’API (American Policy Institute), qui après la mort d’un ami, découvre peu à peu une conspiration de grande envergure, prenant racine dans les agences gouvernementales. On nage en pleine fiction d’investigation à tendance paranoïaque, jouant sur les faux-semblants et sur les peurs d’une Amérique encore hantée par le 11 septembre. D’ailleurs, Travers a perdu sa femme lors des attentats du World Trade Center et reste depuis bien solitaire, s’enfermant toujours plus au fur et à mesure. Il vit seul dans un appartement de Brooklyn et n’a que très peu d’amis, mais gagne, par ses formidables capacités, la reconnaissance l’admiration et parfois la jalousie de collègues.

Le casting principal de gauche à droite : Christover Evan Welch, James Badge Dale,Tanya MacGaffin et Dallas Roberts

Le casting principal de gauche à droite : Christover Evan Welch, James Badge Dale,Tanya MacGaffin et Dallas Roberts

La fiction montre des facettes peu glamour du métier d’analyste, qui se résume à passer son temps dans un bureau, à étudier des photos ou écouter des enregistrements. Cela donne d’emblée à la série un côté mal aimable. Comme Will, elle ne se laisse pas approcher facilement. Il faut se plonger plus avant, capter le moindre indice, se laisser porter par une intrigue qui ne livre pas tout de suite ses secrets. Elle est exigeante et cérébrale.

Elle tient plus du thriller politique 70’s que des aventures de Jack Bauer. Dans le rythme, le ton et les protagonistes, les films de Pakula ou Pollack viennent en tête immédiatement. Cela fait d’ailleurs du bien de voir de telle chose à la télévision, une œuvre qui prend le temps de dessiner des personnages et un univers unique, diffuser une ambiance oppressante et pesante, monter crescendo la pression. On se surprend fréquemment à jubiler lors d’une découverte. Le téléspectateur s’intéresse aux détails, réfléchit avec Will et son équipe. Il faut patienter et voir doucement s’imbriquer les pièces du puzzle. La caméra se pose lentement, souvent fixe, joue des reflets, de gros plans pour donner une personnalité propre à Rubicon. Niveau mise en scène, on atteint parfois des sommets de tension avec des petits riens, des ombres, ou un léger travelling. Certaines séquences se révèle suffocantes, l’angoisse palpable. Il n’est pas étonnant de remarquer que des pointures de la télévision réalisent des épisodes : Allen Coulter, Alan Taylor, Jeremy Podeswa ou Ed Bianchi, tous bien connus des amateurs de The Wire ou Game Of Thrones.

La musique de Peter Nashel joue également un rôle prépondérant dans l’appréhension de Rubicon. Faite de rythmes cycliques et obsédants rappelant Philip Glass, elle renforce l’impression d’être perdu dans un labyrinthe dont il semble impossible de se dépêtrer. Le générique appuie cette idée, un des plus maitrisé de ses dernières années, qui s’intéresse aux petits détails,  dans une jolie démonstration de la méticulosité du show.

James Badge Dale, qu’on a vu dans The Pacific par exemple, incarne Will Travers. L’immense talent de cet homme commence à peine à être reconnu. Il retranscrit parfaitement la douleur vive, mais intérieure, le mal-être et l’intelligence. Il faut aller chercher dans son regard, pour décrypter son ressenti. Will représente l’énigme dans l’énigme et l’acteur joue la partition à merveille.

Malgré la réussite totale du projet, son hermétisme et sa fausse torpeur n’ont pas attiré les foules. AMC l’annule à la fin des 13 épisodes commandés. La suite promettait beaucoup. Le dénouement reste relativement fermée et peut donc s’apprécier quand même. Son souvenir demeure encore vif dans mon esprit, tellement que j’ai le sentiment d’avoir visionné une des meilleures séries de ces dernières années. Si vous ne l’avez pas déjà vu, le moment est venu.

Jérémy Coifman.

 

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3 commentaires pour “Avez-vous déjà vu ? … Rubicon”

  1. […] parlais dans le Avez-Vous déjà vu qui était consacré à la série, mais je dis de nouveau tout l’amour que je porte à ces […]

  2. Marant de revoir ce générique, où tout est connecté. C’en est presque mystique. C’était vraiment une excellent série, avec une ambiance très forte. Dommage qu’elle ait été annulée.

  3. ce générique est tellement formidable. Je me le passe souvent, il me fascine.

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