Du lien entre The Leftovers et Lost

Posté le 4 janvier 2016 par

Pour le retour de Time Of The Season, quoi de mieux que de revenir sur une des plus éclatantes réussites de ces dernières années : The Leftovers saison 2. Éblouissant tour de force, gardant l’intensité du premier chapitre, mais en se réinventant courageusement.

Au-delà de l’intelligence, de la sensibilité toute particulière de la série, c’est surtout le lien de parenté avec la dernière saison de Lost, autre grande série du showrunner Damon Lindelof, qui a tout particulièrement retenu mon attention. Le lien était déjà très clair en première saison, mais ce nouveau segment apparaît comme un prolongement de l’univers lostien, une nouvelle pierre à l’édifice de Lindelof, scénariste torturé, toujours en prise avec ses démons, tiraillé entre la croyance et la rationalité.

La première saison de The Leftovers s’intéressait aux laissés pour compte, à contrario des disparus de Lost. Elle posait la question de la gestion d’une perte soudaine et inexplicable d’êtres chers, de la quête de réponse dans l’absurdité du monde. Lindelof livrait déjà ses réflexions, son ressenti sur l’après Lost. On le sentait atteint, déterminé à vouloir passer à autre chose sans toutefois y parvenir. The Leftovers est bien plus ténue que Lost , foncièrement plus réussie que son aînée, libérée des contraintes des networks, plus concise, plus brute. Pourtant, la série d’ABC et son univers envahissent sans cesse la série d’HBO.

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La deuxième saison, qui s’est terminée il y a quelques semaines, va plus loin. Sûrement parce que son showrunner semble plus serein. Après la fuite en avant, il est temps d’embrasser son destin.

Kevin Garvey (Justin Theroux) en plus d’être une sorte d’alter ego de Lindelof se battant contre ses démons, semble être le prolongement du personnage de Jack Shephard (Matthew Fox ), homme perdu, souffrant de l’absence du père, partagé entre ses  (non) croyances et des événements de moins en moins rationnels qui se produisent autour de lui. Il y a la même colère rentrée, cette violence qui éclate sans crier gare. Quand Garvey lutte pour préserver sa sanité d’esprit, c’est le regard désabusé de Jack Shephard qui transparaît. La trajectoire du personnage est identique, une sorte de chemin de croix, un abandon de soi, une plongée intense dans les méandres de l’esprit, une quête de sens qui ne trouve une solution que dans l’amour. Quoi qu’il fasse, les certitudes de Kevin sont toujours ébranlées, jusqu’à ce que lui-même ne sache plus vraiment où se situe la vérité.  Il aurait pu être un fan de Lost, cherchant les réponses. Mais Lost et The Leftovers restent des histoires d’acceptation.

Pour donner corps au personnage principal, et à ce combat entre la rationalité et la foi, quoi de mieux que placer le croyant sur le grand échiquier ? John Locke (Terry O’Quinn) était le parfait antagoniste malgré lui, malmené de toutes parts dans la vie, trouvant un sens à son existence sur l’île lostienne, devenant un autre homme. Locke attendait le miracle, qu’on lui donne les réponses, faisait ce qu’on lui disait sans sourciller, jusqu’au moment où tout est remis en question. On retrouve la même dimension tragique dans les deux séries. Les personnages sont englués, ont toutes les peines du monde à changer le cours des évènements.

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The Leftovers tient son John locke en la personne de Matt Jamison (Christopher Eccleston), littéralement homme de foi -il est pasteur- qui traverse les mêmes épreuves que Kevin, se pose les mêmes questions sur sa croyance, sur le sens de son existence, sur l’importance du don de soi. Cependant, les certitudes de Jamison ne cesseront d’être renforcées. Malgré les difficultés, la pénitence du personnage trouve un sens. Sa persévérance et ses convictions deviennent moteurs. On note d’ailleurs que sa femme se trouve dans un fauteuil roulant, dans un état végétatif. Comme Locke qui se trouve aussi dans un fauteuil, Jamison pense que tout ceci à un sens, que le miracle peut se produire.

Kevin et Matt trouvent le salut, la foi prend le dessus sur la science. Comme la saison 6 de Lost, cette deuxième saison marque un basculement presque total dans le fantastique, ou plutôt le spirituel. On ne sait pas, et espérons qu’on ne sache jamais, si ce que vit Kevin est un simple produit de son imagination, l’important est dans ce que cela signifie pour les personnages, pour nous. The Leftovers touche à l’intime, à nos convictions, à notre quête de sens, d’amour aussi.

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La saison 6 de Lost, aussi imparfaite soit-elle, introduisait la sublime idée des flash sideways, parfaits symboles de la série et de son sens profond. Quand Kevin énonce qu’il ne sait rien, et qu’il faut l’accepter, on trouve une belle explication à la série d’ABC. Au diable l’éclaircissement des mystères, ce qui importe reste que ces hommes et femmes étaient faits pour se retrouver sur cette île, qu’ils étaient liés par quelque chose qui les dépassait. Au-delà de la très claire dimension méta du dénouement (la série érigée comme culte, le lâché prise du fan…) il y avait déjà cette notion d’amour qui donne un sens à la vie des protagonistes, à l’oubli de soi.

Cet univers parallèle dans lequel les personnages se retrouvent après leur mort, est exactement le même que celui qu’arpente Kevin Garvey dans The Leftovers. Tellement, qu’on s’attend à apercevoir un personnage de Lost. On y retrouve des signes de sa vie passée, une inquiétante étrangeté. La seule différence réside dans le fait que Kevin est conscient dès le début de ne pas appartenir à ce monde. Il y a une volonté forte d’en sortir. Les univers parallèles, dans les deux cas servent de déclencheur. Ils cherchent tous un foyer, sans savoir que la solution réside en ceux qui les entourent.

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Cette poignante et incomprise prise de risque lostienne trouve encore plus de résonance grâce à The Leftovers. Quand Kevin choisit son métier, on pense aux personnages de Lost qui fantasmaient une vie en occultant la leur, quand il chante son désir de rentrer chez lui, on voit les révélations de chacun des lostiens lorsqu’ils se croisent.

Surtout, l’émotion reste la même, elle nous renvoie à quelque chose de viscéral, primaire, comme cette femme des cavernes qu’on aperçoit au début de la saison, comme Nora (Carrie Coon) qui protège son enfant du piétinement.  Les deux séries parlent de ce retour à l’instinct primaire, de la vie, de ses réponses qui ne viendront jamais. Elles parlent de sa beauté, de sa cruauté, de l’absurdité qui en découle. Les personnages souffrent, bouillonnent, crient leur douleur.

Lindelof est moins cruel avec les spectateurs dans The Leftovers. Il prévient qu’il n’y aura pas de grande révélation. A contrario, Lost ressemble à un prêche, à des écrits sacrés qui nous promettent que tout trouvera un sens. La chute est terrible.

LOST - "The End" - One of the most critically-acclaimed and groundbreaking shows of the past decade concludes in this "Lost" Series Finale Event. The battle lines are drawn as Locke puts his plan into action, which could finally liberate him from the island, on "Lost," SUNDAY, MAY 23 (9:00-11:30 p.m., ET) on the ABC Television Network. (ABC/MARIO PEREZ)FOREGROUND: MATTHEW FOX, TERRY O'QUINN; BACKGROUND: CYNTHIA WATROS, DANIEL DAE KIM, EVANGELINE LILLY, JORGE GARCIA, JOSH HOLLOWAY

The Leftovers s’apparente à la réponse, le retour aux réalités, le désenchantement du croyant qui réalise que rien n’est sûr, que le mystère restera entier jusqu’à la fin. La porte de Lost, dans le dernier plan de la série, s’ouvre sur l’inconnu et The Leftovers, jusque dans la chanson du générique de sa seconde saison, énonce le fait que le mystère demeurera. Dans les deux cas, les portes restent magnifiquement ouvertes. On continue de croire, de ne pas se laisser aller, de se rêver autre, de toucher la grâce du doigt, à chaque instant.

Il est intéressant après ces courtes réflexions d’observer les retours et diverses réactions des spectateurs face aux deux séries. Lost a clairement divisé. Certains y ont cru, d’autres ont rejeté en bloc le message et l’exécution. Tout est affaire ici de croyance. Le prêche à ses limites. Le consensus est bien plus important sur The Leftovers, comme si on acceptait ce mystère tant que des promesses n’étaient pas énoncées.

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Notre rapport aux deux fictions est clairement lié à notre spiritualité, notre rapport à la foi, à la nature humaine, à nos vues sur la vie en général. On peut bien sûr aimer les deux séries, il faut aimer les deux séries ! Parce qu’elles représentent deux facettes d’un auteur fascinant, un dilemme entre foi et rationalité que beaucoup ont expérimenté. Leur lien est si fort, les thèmes se répondent tellement, qu’il en devient presque étrange de ne pas vibrer pour les deux.

En tout cas le lien, lui, est bien présent, indéniable, étroit, magnifique. Finir cette saison 2 de The Leftovers, donne envie de se replonger dans le maelstrom lostien, déchirant, sensible et terriblement addictif.

Jérémy Coifman.

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2 commentaires pour “Du lien entre The Leftovers et Lost”

  1. EXCELLENT article, merci.

  2. merci à toi !

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