Twin Peaks saison 3 : Après la bombe

Posté le 5 juillet 2017 par

C’est sur un chemin sinueux, dans la pénombre seulement éclairée par les phares d’une voiture que l’épisode 8 de la saison 3 de Twin peaks débute. Le motif cher à David Lynch de la route de nuit semble la manière idéale de commencer un épisode qui ne fera que sortir des sentiers. Quand Mr C. (Kyle McLachlan) demande à son comparse de « quitter cette autoroute », le voyage vertigineux peut commencer.

 

Plusieurs sentiments bien distincts étreignent le spectateur durant 58 minutes. Les sensations abondent. La peur vient supplanter l’inconfort, l’émerveillement laisse sa place à l’horreur. Il y a mille et une façons d’interpréter les choses. La stimulation, qu’elle soit intellectuelle ou émotionnelle, devient le tour de force de cet épisode et a fortiori de cette saison. Twin Peaks semblent vouloir sortir les spectateurs de leur léthargie.

A l’instar d’un Dougie Jones/Dale Cooper désorienté retrouvant par bribe l’essence de son être, le téléspectateur retrouve des sensations peut être perdues. Une excitation, l’effervescence de la découverte, le plaisir d’aller vers l’inconnu. Quand dans un des plans les plus beaux et fous de l’histoire de la télévision, nous entrons dans un champignon atomique, ce n’est pas seulement notre cœur de sériephile qui bat fort, c’est tout notre être qui vibre, car on le sait : on assiste à quelque chose de grand, pas seulement dans l’histoire de la télévision, mais de l’histoire de l’art. L’épisode se situe entre les expérimentations visuelles de Stan Brakhage, la recherche de la grâce de Terrence Malick et la cérébralité mystique d’un 2001 de Kubrick.

 Comprendre les choses n’a jamais été déterminant chez Lynch, même si tout à forcément un sens. L’important reste de se laisser porter par ses sensations, d’être à l’écoute, de plonger dans l’abime. Ici, même si tout peut paraitre limpide, la forme n’en reste pas moins perturbante.

Les niveaux de lectures sont nombreux, les références picturales aussi, mais tout cela ne semble pas important tant l’émotion nous étreint. Bien à l’abris devant notre écran, Lynch et Frost nous sortent de notre zone de confort. C’est ce qu’on demande d’une œuvre d’art, qu’elle bouscule notre être, remplissent notre imaginaire.

Ce huitième épisode obsède, les images, les sons resurgissent souvent sans crier gare, comme s’il semblait impossible de vraiment ressortir de ce cauchemar magnifique. La voix du woodsman résonne dans nos têtes, les fantômes ne tournent pas que dans « the convenience store ».

Twin peaks avait dans les années 90 ce rôle de fer de lance qui changeait la donne d’un paysage télévisuel très codifié. Il donnait à voir autre chose, et permettait de faire entrer l’univers de Lynch dans des foyers bien douillets.

 Aujourd’hui ce retour -et cet épisode plus particulièrement- s’inscrit dans une logique encore plus incisive. Le premier plan de Fire Walk With Me, le film de 1992, donnait le ton en montrant une télé qui se faisait exploser au marteau. 25 ans plus tard, c’est une véritable bombe atomique qui explose toutes les conventions télévisuelles actuelles. L’univers Lynchien s’immisce dans chacun des plans, chacune des dissonances : toute l’œuvre du réalisateur parcourue en 58 petites minutes, du cauchemar industriel d’Eraserhead à la nébulosité envoutante de Mulholland Drive. Bien qu’ en s’inscrivant toujours et de manière aussi émouvante que logique dans l’univers « Twin Peaksien ».

Lynch rappelle encore dans cette huitième partie, que Twin Peaks restera son œuvre somme, où toutes ses obsessions thématiques, visuelles et sonores se rejoignent. Cet épisode, lui, symbolise ce que représente cette 3ème saison : une nouvelle révolution dans l’Histoire de la télévision.

Jérémy Coifman.

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