Marco Polo Saison 1 : Faste and Fourrure

Posté le 6 janvier 2015 par

 Retour sur la série évènement de Netflix Marco Polo. Dix épisodes qui ne convainquent pas grand monde, mais qui pourtant marient avec brio le conte initiatique à l’Occidental et les codes du Wu Xia Pian de la Shaw Brothers

Projet initialement développé pour la chaine Starz ( Spartacus, Black Sails), Marco Polo est finalement reprise par Netflix, prêt à un gros investissement pour mettre en image le projet de John Fusco (Hidalgo, Spirit). Tournage à l’étranger (Kazakhstan, Malaisie), décors et costumes ultra travaillés, le budget de la saison s’élève à la somme mirobolante de 90 millions de dollars. Pour bien se rendre compte de l’énorme apport financier, il faut comparer par exemple ce budget avec celui de Game of Thrones qui oscille entre 60 et 65 millions de dollars.

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Premier constat, l’argent se voit à l’écran. Les décors monumentaux sont magnifiques, les costumes et le sens du détail impressionnent. Marco Polo est bien une série « premium », en tout cas pour ce qui est de l’enrobage. C’est un sentiment presque inédit qui s’empare du spectateur à la vision des premiers épisodes : celui d’assister à une épopée qui visuellement n’a rien à envier à certains blockbusters sortant sur nos écrans (à quelques batailles prêt). On regrette presque de ne pas pouvoir assister au spectacle en salle tant les vastes prairies et les gigantesques édifices en imposent. S’il y a bien une chose sur laquelle la série Netflix n’est pas attaquable, c’est bien sur la claque visuelle. Au-delà des moyens, la réalisation emprunt d’un classicisme de bon aloi accentue cette impression d’ouvrir une énorme livre d’aventure, d’entrer dans un monde mystérieux, une époque révolue, l’intimité fantasmée de grands hommes. La caméra bouge lentement, se fige beaucoup, les cadres sont travaillés à l’extrême. La réalisation de Marco Polo invoque finesse et noblesse, tout en n’oubliant pas de restaurer la rudesse et la violence d’un monde que l’on découvre en même temps que son personnage principal.

Marco Polo a tout du récit initiatique des plus classiques. Le jeune Marco, en manque de repère et à la recherche d’un père, se voit entrainer dans les lointaines contrées de Mongolie et doit rester à la cour de Kubilai Khan (Benedict Wong), empereur impressionnant et respecté, en guerre contre Jia Sidao, homme de l’ombre qui veut prendre le pouvoir au sein des Song. La série n’occulte aucun lieu commun de ce genre d’aventure : le jeune naïf, la belle mystérieuse, la figure paternelle de substitution, la découverte des us et coutumes, les dilemmes. Malgré les lieux exotiques explorés, le spectateur, lui, reste en terrain connu. Mais ce qui pourrait être une faiblesse dans beaucoup de productions participe ici au charme certain de l’ensemble. Comme dit précédemment, Marco Polo ressemble à un vieux livre d’aventure qu’on trouve par hasard et qu’on dévore. La disponibilité immédiate des dix épisodes trouve une belle justification ici.  La série en tant que conte initiatique est remplie de cliché un peu maladroit sur l’Asie, mais assure un dépaysement bienvenu et une présence asiatique qui fait encore bien défaut à la télévision comme au cinéma. La série est un peu le The Wire asiatique (toutes proportions gardées) avec des Caucasiens en minorité. Même si l’ouverture aux marchés asiatiques n’est pas un facteur à exclure, il faut quand même saluer l’initiative de Netflix de proposer un programme de cet acabit pour un public également occidental. Il faut souligner que même l’acteur jouant Marco, Lorenzo Richelmy est Italien, chose finalement rare à la télévision Américaine.

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Les critiques du monde entier n’ont pas accueilli la série avec un grand enthousiasme comparant notamment la série au mastodonte Game Of Thrones pour ses intrigues politiques et ses scènes de sexes à foison. Mais il n’est peut-être pas judicieux de le comparer à la série d’HBO. Parce que le rythme n’est pas tout à fait le même, sur un mode plus contemplatif, se savourant lentement comme un bon thé. On admire chaque parcelle de l’écran ,la lumière qui rentre dans une pièce ou les (sur)cadrages que n’aurait pas renié Wong Kar-Wai. La série marie très bien le contemplatif d’un certain cinéma auteuriste asiatique et les intrigues complotistes inspirées du cinéma de Chu Yuan (Le complot des Clans), dont les films nageaient toujours en eaux troubles et dans lesquels les protagonistes avançaient lentement leur pion sur l’échiquier. D’ailleurs même l’aspect sexué de l’oeuvre fait grandement penser à  Yuan. Le sexe est  une arme très importante ( le rapprochement avec Game of Thrones est ici évident), mais il apporte également un aspect vénéneux et une subversion au milieu d’une politesse toute politicienne. Voir la série par le prisme d’influence asiatique lui fait beaucoup de bien, et évite également bien des raccourcis faciles. Oui, Marco Polo marche sur les plates bandes de Game Of Thrones, il serait de mauvaise foi de le nier. Mais elle va plus loin que la simple resucée d’un succès indétrônable dans le coeur de millions de fans : elle tente un mariage des influences orientales et occidentales, invoque plus le Wu Xia Pian que l’épopée guerrière à l’occidentale. On y trouve par exemple le personnage du sifu, Hundred Eyes (Tom Wu), qui parait caricatural pour les non avertis, mais qui est une figure incontournable du Wu Xia ou du film de kung-fu. La scène du serpent a fait rire quelques personnes en France, mais s’inscrit elle aussi pleinement dans les figures inévitables, dans un folklore qu’il est tellement plaisant de retrouver ici et que les productions chinoises n’hésitent elles-mêmes pas à utiliser, que ce soit dans les Shaw Brothers 70’s ou les films plus récents)

Marco Polo se révèle être une belle réussite, avec son statisme assumé et son raffinement extrême, ses personnages qu’il est passionnant de voir évoluer et ses luttes intestines. On trouve le personnage principal d’abord insipide, mais il gagne rapidement en intérêt et en épaisseur. Surtout, la montée en régime de l’intrigue amène le tout vers des sommets de tension, de colères contenues. Quand la politesse de façade disparait, la brutalité d’un monde sans pitié fait surface. On espère grandement une saison 2, mais pour le moment on salue l’essai. Il faut se laisser guider, ne pas s’attendre à du Game Of Thrones, juste profiter de l’aventure, s’imprégner de l’ambiance. Marco Polo n’a pas d’autre ambition que d’être une belle aventure initiatique, et c’est déjà pas mal.

Jérémy Coifman.

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6 commentaires pour “Marco Polo Saison 1 : Faste and Fourrure”

  1. Ravi de lire enfin une critique avec laquelle je suis d’accord. Marco Polo n’est pas la claque d’une saison de Game of Thrones mais est un beau dépaysement qui en met plein les yeux avec une histoire qui tient la route et que, moi aussi, j’aimerais voir se poursuivre dans une nouvelle saison. Mais Netflix est-elle prête à un autre investissement aussi important ?

  2. oui c’est clair que si saison 2 il y a le budget va être réduit! content de voir que je ne suis pas seul à aimer! ^^

  3. Aaaa voila une critique qui me plait. Ce devenait lourd toutes ces comparaisons avec Game of Thrones : surtout que le sex en abondance dans les séries du style ca existait avant Game of Thrones !
    Merci Jeremy !

  4. Il faut vraiment que je la regarde, ça a l’air pas mal.

  5. Le rythme lent peut dérouter, mais faut s’accrocher! dépaysement assuré!

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